Livre de François Bonduelle
Chaque année depuis quarante étés, je passe quelques jours à l’Ecole d’Albanette. J’ai écouté les habitants. J’en ai retenu leur histoire, vie et habitations Ce livre est une compilation, très partielle, de ce que j’ai cru entendre et retenir.
François BONDUELLE le 2 septembre 2009
ALBANNETTE
Histoire d’un hameau ses maisons ses chambres
Rédigée par François BONDUELLE
Autorisation de publier : cartes par Agnès LAINE et aquarelles par Jean-Michel LEVAVASSEUR
Reproduction de documents, photos et mise en page par Augustin DURIEZ
La maison de l’Adroit ( Adret)
« La maison est la dernière (était-ce un ermitage ?). Elle guette la route, elle est juste « au bord de la pente qui dévale vers les fonds »
(La colline - J.Giono)
Sur l’escalier d’en haut, la Marguerite du Tanaz (Athanase) épouse de François Bois accueillait ceux qui voulaient y tailler une bavette au soleil. Mariés en 1887, ils ont reçu en cadeau une armoire du pays qui porte encore leurs initiales : B.F. et S.M. C’était sans doute leur seul trésor malgré les rumeurs.
« La totalité du jour pèse dans la vallée
« comme l’éclat de trop de fruits dans une corbeille
« Flamme pour flamme, jour pour jour
« ici l’on se pense en lumière ...
« pour nous le soleil brille
« Nous croyons au printemps il n’est jamais si loin.
(Une leçon de morale - Paul Eluard)
La Maison de la Lise
La Lise avait deux filles : la Félicie et la Lucie.
La Lucie a épousé le Jean du « Méd’aôut », facteur à La Chambre.
La Félicie travaillait comme un homme aux travaux des champs et a été emportée par les poumons.
C’est alors que la « Tine », soeur du Tite et de l’Hilarion, a acquis cette maison pour Ernest. Il s’y est installé puis en est reparti en 1948 pour y revenir à la retraite. L’Ernest BOIS, dit « le GRELOT » et son chien Pato venaient séjourner dans la maison après la guerre et révélait aux estivants les secrets du pays ainsi : la caverne des Follones ou la bourna de l’Antrecreun.
« de la haut, on voit 20 à 25 maisons du village avec leur épaisse barre d’ombre « pourpre sous l’auvent..... »
(un roi sans divertissement – J.Giono)
La maison de Zacharie
Ce sont des laziers piémontais qui ont fait cette maison à partir de trois petites chambres pour Jean-Marie et Eugénie. Une date : 1911.
Le séraphin y a vu le jour.
L’Eugénie a perdu son mari à la première guerre mondiale, s’est remariée avec Jean-Pierre Rol. Plus tard ils ont quitté le pays pour Saint Julien.
La Céline et le Louis s’y sont installés en 1932. Dans cette maison sont nés : l’Aimé et le Marcel.
« Il y a toujours quelque part une volée d’escalier qui monte vers le vide, un balcon qui surplombe des échos »
(Caractères – J.Giono)
La Maison du Pierre-Dominique
Ce fut un jour la maison des deux cent femmes ou des deux sans femme ; comme vous le voulez.
C’étaient : Pierre-Dominique et son fils Jean-Baptiste.
Au premier plan, les pieds dans les fleurs, un magnifique genévrier monte la garde depuis bien longtemps. S’il pouvait parler on connaîtrait bien des secrets du village.
Ici est né le Baptiste qui a épousé la Rose.
Ce fut longtemps la maison de la Céline.
Pierre-Dominique est mort dans la tourmente en 1940. On mit son corps une semaine à la chapelle Saint Jacques avant de pouvoir l’inhumer au cimetière d’Albanne.
« Le ciel est par dessus le toit
« si bleu, si calme
« un arbre par dessus le toit
« berce sa palme
« la cloche dans le ciel qu’on voit
« doucement tinte
« une oiseau sur l’arbre que l’on voit
« chante sa plainte
« mon Dieu, mon Dieu la vie est la
« simple et tranquille. »
(Un arbre par dessus le toit - Verlaine)
La Chapelle Saint Jacques
Construite à frais communs par les familles du village en 1677, il y a 350 ans, puis
restaurée en 1852 et, 150 ans plus tard, en 2002. Cette chapelle rose comme l’aurore au coeur
d’un village gris ouvre le « passant » à l’espérance. Un jour il quittera la grisaille mais
« d’autres après lui lèveront les yeux vers les nuages ...car rien ne passe après tout que le
passant » (Aragon).
Quand fut fondue la cloche, dit la légende, la Marie Thècle passait par là. Elle a versé
son tablier rempli d’or dans le bronze en fusion. La pureté de cette cloche d’airain aurait la
propriété de chasser les orages d’Albanette sur Albanne.
Cette croyance était si ancrée que, suite à un orage qui a épargné Albannette et ravagé
Albanne, le Maire, après avoir délibéré avec son Conseil, prit un arrêté interdisant de sonner
la cloche à Albanette les jours d’orage... « Il peut dire ce qu’il veut, a-t-on dit en Albannette,
quand l’orage grondera, on la fera sonner ».
Face à l’austérité calviniste, la Contre-réforme catholique affirme en rose, bleu, or et
vermillon que la vie est belle et que la foi ouvre à l’espérance et à la joie.
C’est l’art baroque savoyard que l’on trouve dans le retable de l’autel.
Deux statues en mélèze de facture bessanaise « Saint Jean l’évangéliste et saint
Jacques » rappellent aussi que l’homme est bon et, qu’avec la grâce de Dieu, il est capable
d’accéder à la sainteté.
« Non pas les matins seulement et leur éclat de commencements
« Ni les jours seulement, qui sont tendresse autour des fleurs
« Non pas les chemins seulement, ni les seules prairies dans le soir
« Non pas, après l’orage tard venu, la clarté de l’air qui respire,
« Mais les nuits ! Les hautes, celles de l’été,
« Mais les nuits, mais les étoiles, de la terre. »
(Elégies duinésiennes - Rainer Maria Rilke)
La Maison de la Grande Elise
« La table dans le coin toute luisante comme un grand rocher carré sous la pluie » (Regain de J.Giono)
La grande Elise (grande Falcoz) était la fille du Pierre et de la Marie Falcoz.
Elle a eu trois filles avec BOIS Félicien qui la laissa veuve à l’âge de 29 ans : Emma, Alexia et Félicie.
L’Emma est restée longtemps ici. Une de ses filles l’Augusta a été assassinée par les allemands sur le chemin de l’Echeyrène alors qu’elle revenait de Valloire où elle était allée rendre visite à sa soeur qui venait d’accoucher.
Le docteur Laroche en route pour Albannette fut témoin de la scène. Le coup de feu est parti d’en face de la route du Fort du Télégraphe.
La maison du Me-d’Août
Attenante à celle de la Grande Elise la maison du Me-d’Août (Jean).
Elise l’a achetée lorsque le Me-d’Août blessé de la Grande Guerre est allé s’installer à La Chambre où il fit carrière de facteur.La fille du Me-d’Août, Simone, a chauffé pendant un quart de siècle la gamelle des cheminots.
« Une abeille roule au sol Avec mille de ses soeurs Et mille abeilles remontent Vers la fleur qui les convoquent »
(L’homme embrasse le silence - P.Eluard)
La Chambre de Laetitia
Au dessus de la chapelle, une « chambre » qui, à la différence des autres, a servi de chambre à Laetitia. Elle s’y rendait le soir, été comme hiver, sans feu.
C’était sa chacunière aurait dit Montaigne (« on a chacun sa chacunière »).
Laetitia cueillait le tilleul des « Remues » et le faisait sécher sur des journaux.
Cet endroit est devenu « la chambre au tilleul ».
Laetitia fut la dernière femme à faucher en Albannette et à y demeurer l’hiver. Dans la
tourmente ou les aléas de la vie, un seul refrain : « y faire quoi ? ».
« Tu te crois plus forte qu’un de nos vieux hussards » disait Angelo
(le hussard sur le toit – J.Giono).
La Place
A l’emplacement du rocher que le propriétaire actuel a extrait de son mur, il y avait le « grand four à pain » du village. On y cuisait jusque 60 pains. Chaque famille apportait ses fascines pour réactiver le four avant chaque fournée.
« Panturle regarde le bon pain, gros et solide, le pain des champs et sa mie qui est rousse.../... la miche de pain qui est chaude et lourde .../... le pain qu’ils ont fait eux-mêmes »
(Regain de J.Giono)
Sur cette place on fêtait le carnaval. C’était le mardi-gras « le carêmeentrant » les jeunes faisaient un fantôme avec dans le cou une vessie de porc pleine de jus de betterave (kaputch). On jugeait le bonhomme. Le verdict était toujours le même : la mort. C’est ainsi que l’on tournait le dos à l’hiver. L’exécution suivait le verdict. La tête tombait et le kaputch éclaboussait joyeusement la neige blanche. Puis on partageait les bugnes et le vin que les jeunes avaient collectés la veille dans les maisons.
« Pacotille de joie vaut le foin de la vie »
(Une leçon de morale – P.Eluard)
C’est ici aussi que Laetitia, au dessus du four, sur un grand coeur en carton souhaitait la bonne année à tous les habitants d’Albannette.
Le long de la chapelle l’abreuvoir a remplacé la « conce »* qui était à hauteur du lavoir.
« Et voici que l’eau coulait du côté droit du Temple »
(Ezechiel 47, 2)
« Conce » : cuve qui accueillait l’eau captée bien loin à la source dans des troncs de méléze creusés appelés « bournels ».
En 2009,la fontaine est en granit, elle coule de nouveau pour le bonheur des passants.
La Maison des Michel
C’est la maison la plus basse du village et la plus proche des vergers avec celle du Léon qui a brûlé en 1941.
Le blaireau vient y mener la sarabande au temps des cerises et des prunes tandis que le cerf se fait menaçant au temps des carottes.
Plus d’un siècle de Michel, de père en fils y ont vécu :
l’arrière grand père Michel a fait le toit en chaume,
le père Michel l’a fait en ardoise
et le Régis l’a couverte de tôle.
Sont nés ici : le Just, le Régis, la Régine, J’Anaïs et l’Albert puis encore un Michel à la dernière génération. Cette maison toujours fleurie est à l’entrée du chemin de la Valloirette.
« Arsule, comment veux-tu qu’un pays comme cà nous fasse du mal,
« regardes le, c’est pas beau cà ?
« Tout bleu d’iris, terre et ciel avec à l’ouest un bouquet de nuages.
« Le jeune soleil marche enfoncé dans les herbes jusqu’aux genoux. »
(Regain - Jean Giono)
La Maison de L'Hilarion
« Ceux qui campent chaque jour plus loin du lieu de leurs naissances ... savent mieux,
« chaque jour, le cours des choses illisibles ... et ce fut un matin la grande roseraie
« blanche de toutes neiges à la ronde. »
(Neiges - Saint John Perse)
L’Hilarion, frère du Tite, fut le dernier maître ramoneur avec ses deux fils l’Eugène et le Jean-Baptiste. Il avait quatre filles : Marie, Rosine, Léonie et Alezir.
Elles soignaient les bêtes, selon leur age, quand Hilarion était parti ramoner les cheminées des grandes fermes de la Brie.
Le troisième garçon, Robert, jouait de l’accordéon et faisait danser toute la jeunesse d’Albanne et Albannette.
Une date 1790 sur l’angle ouest, en bas, indique-telle la construction ou la restauration ?
Au début de la deuxième guerre mondiale Alezir y faisait le catéchisme aux enfants du village.
« C’était alors des fêtes à n’en plus finir ... des sortes de bamboulas dans les grands
« combles dont les planchers grondaient alors de courses et de sauts comme un
« lointain tonnerre. »
(Un roi sans divertissement - Jean Giono)
La Maison de la Rose et du Baptiste
« Quand on voit sur la branche, au mois de mai la rose
« Quand l’aube, de ses pleurs, au point du jour l’arrose »
(Ronsard)
Jadis il y avait une grosse poutre en travers de la cheminée. De temps à autre, elle prenait feu. La Rose criait donc à son bon Jean-Baptiste : « Féli, Féli : Imbora, Imbora ».
Jean-Baptiste balançait une casserole d’eau et bouchait la cheminée. C’est miracle si cette maison est toujours debout.
Il y avait aussi une grande horloge à balancier. Emma envoyait ses petites-filles chercher l’heure à l’horloge du Baptiste. Quand elles entraient, il y avait plus de 15 chats qui se sauvaient dans tous les sens.
Quand Marcel emmenait leurs vaches à l’alpage, c’était chaque fois pour la Rose et le Baptiste un arrachement et c’était pitié d’entendre les vaches meugler en se retournant vers leurs maîtres.
« Un aigle fait le point dans le ciel sans secret
« L’homme en grandeur au coeur d’un monde impérissable
« Inscrit son ombre au ciel et son feu sur la terre »
(La montagne vierge – Paul Eluard)
La Maison des Trois Marguerites
Au 19me siècle, trois femmes habitaient cette maison.
Elles s’appelaient toutes les trois Marguerite.
Deux veuves :
Marguerite, la maman
Marie-Marguerite, la belle-soeur
Et la fille : Marguerite-Marie (grande tante de Rosine et Céline).
Sont nés dans cette maison la Rosine, la Céline en 1909 et 1911.
Puis Le Tite l’a acquise.
« Les uns disent.....50 histoires naturellement, pendant que la neige continue à tomber »
(un roi sans divertissement – J.Giono).
Date de dernière mise à jour : 13/03/2022